Dans son éditorial du mois d’août, Jacques Lison, directeur de Prions en Église, estime qu’«aimer la vie, la terre, le monde et sa modernité, cela exige au moins deux choses. D’abord, une grande ouverture aux joies et aux espoirs, aux tristesses et aux angoisses de nos contemporains. Rien n’est plus contraire à l’espérance chrétienne que de se calfeutrer dans un cénacle, de se croire les seuls justes, d’invoquer trop facilement l’autorité de Dieu pour trancher dans les affaires humaines, de ne voir que ruines et calamités dans la situation actuelle de la société (Jean XXIII). Aimer le monde d’aujourd’hui exige ensuite de s’y engager afin d’y réinventer le message de Jésus qui relativise les institutions religieuses au profit d’un culte intérieur et qui bannit l’esprit de domination au profit du pardon, de la non-violence, de l’égalité de tous, de la liberté humaine, de l’émancipation de la femme, de la dignité des pauvres, du bonheur des béatitudes».
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Roger Girard 6 août 2009
En lisant cet éditorial destiné à «nourrir la foi», j’ai ressenti un certain malaise. Est-ce que la citation de Bonhoeffer signifie vraiment ce qu’on lui fait dire? Dans la lettre de 1943 d’où elle provient, le théologien et pasteur alors emprisonné expose comment la lecture de l’Ancien Testament influence alors sa réflexion sur l’importance primordiale de reconnaître l’action de Dieu dans le monde, particulièrement selon cette modalité de «retrait» bien présente dans la pensée juive. «L’amour de la vie et de la terre» dont il est question se rapporte donc à ce qui est vécu par une croyant qui y voit l’œuvre de Dieu et qui désespèrera de Dieu lorsque «tout semble fini». La phrase citée est d’ailleurs suivie de celle-ci : «ce n’est qu’en laissant valoir la Loi de Dieu sur soi qu’on a le droit aussi finalement de parler de la grâce». La prise en compte de l’action de Dieu dans le monde actuel, bien qu’appelant une critique de plusieurs formes de religiosité, ne signifie aucunement la mise entre parenthèses de la foi chrétienne pour mieux «aimer le monde» et sa modernité, dont les «aspirations» s’assimileraient avec le message de Jésus, si l’on suit le texte de l’éditorial. Bonhoeffer, qui paiera de sa vie sa fidélité à l’Évangile, écrira dans une autre lettre, le 21 juillet 1944 : «Le chrétien est terrestre, non pas de manière plate et banale, comme les gens éclairés, efficaces, nonchalants ou lascifs, mais il est discipliné, et la connaissance de la mort et de la résurrection est toujours présente en lui. Je crois que Luther a vécu de cette manière.» [N.B. «éclairés» réfère ici à ceux qui, dans le sillage des Lumières, sont portés vers le déisme philosophique ou simplement vers l’athéisme.] Pas facile de dépasser les clichés en parlant de la Transfiguration et de l’Assomption, mais il faut aussi éviter d’en encourager d’autres concernant l’expérience chrétienne dans la société d’aujourd’hui. Sans quoi on risque d’alimenter la «foi» de calories vides…
Roger Girard